Poésie. { Elena Camille Swan.

◙ « - Mamie, pourquoi tes yeux ne sont-ils pas de la même couleur que les miens ? » demanda la petite fille, assise sur les genoux de sa grand-mère, son regard bleu rivé dans celui, marron, de son aïeule. Celle-ci sourit, et ses joues se creusèrent de rides plus profondes encore que celles qui marquaient habituellement son visage. La petite adorait entendre la voix de sa grand-mère, chevrotante mais tellement rassurante... Et elle adorait l'accent italien de la vieille femme, qui, malgré ses efforts, n'arrivait pas à masquer que le français n'était pas sa langue natale.

« - Il y a deux réponses à cette question, comme à toutes les questions. Laquelle veux-tu entendre en premier ?
- Celle du poète ! »

Ma vieille dame eut un nouveau sourire en caressant de sa main sèche la douce joue de sa petite-fille.

« - La couleur des yeux importe peu, tant que le regard peut voir toutes les beautés qui existent de notre monde. Si tu as hérité de la couleur de l’azur, et moi de celui de la terre, nous voyons toutes les deux la même beauté qui émane de ce papillon, pour ne citer que cet animal. »

La fillette écouta avec attention, concentrée sur les paroles de la vieille femme, suivant du regard le papillon qui était justement entré. Ses ailes, colorées de mille teintes, battait paisiblement, et elle sourit en silence. Elle se tourna ensuite de nouveau vers sa grand-mère pour demander :
« - Et celle du savant ?
- Mes parents avaient les yeux marron, ils m’ont légué cette couleur. Tu as hérité des yeux bleus de ta mère. La transmission des gênes est bien mystérieuse.
- Je préfère encore celle du poète, décréta Elena après une brève réflexion. »
Sa grand-mère ne répondit rien, se contentant d’un énième sourire à la vie.

**

Elena ne pleurait presque jamais. Jamais elle n’avait pleuré comme elle pleurait en cet instant, jamais elle n’avait tant souffert, jamais elle n‘avait tant regretté, pensé. Elle versait toutes les larmes de son corps sur ce malheureux arbre, qui supportait son poids depuis bien des années déjà. Le seul ami qui lui restait, en vérité. Elle était montée très haut, aujourd’hui. Pour ne pas que ses parents la voient. Pour ne pas qu’ils se rendent compte qu’ils n’auraient jamais dû lui répondre ainsi.
Elle s’était levée avec un terrible pressentiment. L’orage avait grondé toute la nuit, le ciel était vide et limpide, le soleil brillait peu, il faisait froid. Le visage grave de ces parents l’avait alertée. Elle avait demandé une explication à ces mines sombres, et n’avait pas eut droit à ses deux réponses.
« Ta grand-mère est décédée cette nuit, mon cœur. »

La réponse du savant. Celle qu’elle n’aurait jamais voulu entendre. Elle avait fuit la maison pour le jardin, où elle avait grimpé, grimpé jusqu’à que ses bras, épuisés, lui lancent des signaux de faiblesse. Elle s’était arrêtée, et elle avait crié :

« La réponse du poète, je la connais. Mais je ne la donnerai jamais. Jamais ! »

Elle avait peur. Peur d’y penser, peur de l’entendre et de se rappeler. Elle descendit de son arbre quatre heures plus tard, son estomac criant famine et ses réserves de larmes épuisées. Elle tituba jusqu’à chez elle, avala un morceau de pain sous le regard inquiet de ses parents, puis attrapa un papier et un stylo. Le feu crépitait dans la cheminée. Elle traça quelques mots. "Grand-mère s’est envolée pour une nouvelle aventure, plus trépidante, plus mystérieuse que celle de la vie. Le paradis l’accueille sûrement, et elle doit être heureuse. Peut-être me regarde-t-elle. Un jour, je la rejoindrais, mais en attendant, un destin m’attend. Un destin qui m’a l’air sans saveurs sans elle pour me conseiller. Un destin dont je ne sais quoi faire, et qui me tombe dessus sans prévenir. Aide-moi, grand-mère… Aide-moi à trouver un nouveau chemin où je marcherai seule, sans toi pour me guider. "
Elle se leva et jeta le papier dans les flammes.
Une main se posa sur son épaule… Ses yeux s’embuèrent, et elle les ferma donc. Surgirent alors un défilement d'image dans sa tête. Des images qu'elle ne connaissait pas. Sa mère, jeune, courant avec sa mamie rajeunie, riant aux éclats. Elle se dégagea vivement pour éviter le contact direct avec sa mère. Sa peine était comme doublée par les souvenirs lointains de sa mère. Elle voyait les souvenirs de sa mère. Cette idée lui donna des vertiges. Elle eut le temps d'entendre, toujours dans sa tête, une voix douce : " ... Je me demande même si elle serait dans un état pareil pour ma propre mort... Voyons, c'est idi...", puis, tout devînt noir.