Contemplation du lac {Ornella

Le beau temps était de la partie. Ca faisait plaisir de voir le ciel bleu, le soleil, et pas un seul nuage. Si ce n’était pas magnifique ça ? En tout cas, ce n’était pas un temps à rester enfermé à l’intérieur. D’ailleurs, j’étais entrain de marcher en direction du hall d’entrée pour sortir dehors et prendre un peu le soleil. J’avais une peau relativement blanche par nature, mais je ne craignais pas de choper un coup de soleil. Enfin, j’étais faite comme tout le monde, quand j’attrapais un coup de soleil, je n’étais pas épargnée. Ce que je voulais dire, c’était que je n’avais pas une peau plus fragile qu’une autre.
Par ce beau de temps, les deux lourdes portes du hall étaient grandes ouvertes et pas mal d’élèves circulaient entre le dedans et le dehors. Quoi qu’il y avait tout de même plus d’élèves qui sortaient que rentraient. Ce qui était tout à fait logique d’ailleurs. Pour ma part, je faisais parti de ses élèves là.

Contrairement à ce qu’on pouvait croire à première vue, l’air n’était pas lourd. Au contraire, l’air était respirable grâce à une toute petite brise. Je marchais sur le petit sentier de gravier qui conduisait au parc. Cependant, ce n’était pas là que je me rendais. Je continuais mon petit bonhomme de chemin jusqu’au lac.
J’adorais aller là-bas. Déjà, parce qu’il y avait un peu moins de monde qu’au parc, mais aussi parce que j’aimais beaucoup regarder les rayons du soleil qui brillaient dans le lac. J’avais l’impression qu’il y avait des diamants à l’intérieur. C’était magnifique ! Enfin bref !

Une fois-là bas, je constatais que contrairement à d’habitude, il y avait beaucoup moins de monde. Un sourire de contentement se dessina sur mes lèvres tandis que je m’installais sur la pelouse juste au bord de la grande étendue d’eau.

Il faisait beau. Le soleil brillait, les oiseaux chantaient, les fleurs embaumaient ; le cliché parfait du petit coin de paradis et du bonheur. L'été, cette année, s'il avait eu un peu de retard, compensait largement ce décalage par un soleil radieux et une chaleur qui aurait pu être étouffante sans ce vent léger.
Je trouvais quand même la chaleur insupportable, et, pour moi, l'air était chargé d'odeurs de fleurs à vomir. L'été, qui rimait, pour d'autres, à bonheur ou vacances, n'était pour moi qu'un fardeau.
Parce que si la famille manquait à certains, c'était loin d'être mon cas. Toujours est-il que les vacances n'étaient pas encore là, et que j'étais coincée ici à m'ennuyer, ce qui, en soit, n'est pas beaucoup mieux.

Bref, cette température hors du commun m'agaçant, je décidais de sortir de ce four qu'était la salle commune, pour aller faire un tour à l'extérieur, à l'ombre, évidemment ! Mais, au dernier moment, je bifurquais sur le lac. La fraîcheur de l'eau et le calme qui l'entourait était toujours apaisant, sans compter que dès que j'étais à proximité d'eau, je me sentais en meilleure forme. Je m'approchais donc du lac, rassurée de ne pas avoir à subir la chaleur encore topo longtemps. Le reflet du soleil brillait de mille feux, et regarder trop longtemps cette étendue d'eau en donnait mal aux yeux.

Étrangement, il n'y avait pas grand monde autour du lac. Deux ou trois couples d'amoureux qui cherchaient la tranquillité, quelques amis qui discutaient entre eux... Et une fille, toute seule. Intriguée, je m'approchais d'elle pour m'assoir à ses côtés. En effet, les gens préféraient venir à plusieurs pour pouvoir discuter tranquillement ici, et il était rare que des élèves viennent juste pour contempler le lac, ou, comme moi, rechercher la fraîcheur en plus d'admirer le spectacle. Je m'installais sans un mot ; être dérangé pendant qu'on admire le lac est particulièrement agaçant, et, quand elle voudrait parler, elle le ferait. En attendant, je plongeais mes pieds dans l'eau en souriant.
Inconsciemment ou presque, je fis tournoyer l'eau autour de mes pieds en laissant mes pensées vagabonder le temps que la fille se mette à parler. Je me posais des questions, bien sûr, mais je ne le montrais pas. Je les poserais en temps voulu, pas maintenant...

On ne pouvait pas dire que je bougeais. En fait, c’était tout le contraire. Je devais avoir l’air d’une statue devant le lac. J’étais assise au bord. Plus au bord, on ne pouvait pas car après, il y avait l’eau. Mon regard s’était perdu dans les scintillements du soleil sur le lac. Mes pensées aussi d’ailleurs. Seulement voila, elles étaient tellement indescriptible que du coup, il m’était impossible de savoir à quoi je pensais exactement. En fait, il y avait du tout et n’importe quoi dans ma tête. Un grand bazar. Et pourtant, j’étais une fille plus ou moins organisée, comme tout le monde. Quoi que… Parfois il m’arrivait de zapper quelques trucs, du genre un devoir à rendre, parce que j’étais trop absorbée par un autre. Enfin bref, les trucs habituels qui arrivaient à tout le monde.
Je fus très surprise lorsque je remarquais qu’une fille venait de s’assoir à côté de moi. Je mis tout de même un petit temps avant de piger qu’on s’était assis à côté de moi. Mais chut ! Faut pas le dire ! Oui, mon cerveau était un tantinet au ralentit quand il s’y mettait, mais quand il voulait, il allait très vite en matière de recherche. Ca dépendait des moments. C’était comme tout.
Ce qui m’étonnait un peu, c’était que la jeune fille ne dit pas un mot. Comme si elle ne voulait pas briser le silence religieux dont je m’étais entourée. Bon, elle était un peu exagérée comme expression, mais c’était presque ça. Et parce qu’on n’allait pas resté comme deux muettes (enfin, pour ma part), je tournais la tête vers la nouvelle arrivée et lui offris mon plus beau sourire (Colgate, cela va sans dire !)

« Bonjour. »

Formule de politesse simple. Et pourtant, lorsqu’on s’y prenait bien, elle promettait des futurs sujets de conversations. Je me posais un peu, non en fait, plein de questions à son sujet. Mais si j’enchainais, j’allais lui faire peur et c’était pas vraiment mon but. Moi et ma curiosité maladive, nous nous tenions tranquilles. Enfin pour l’instant. Nous allions ressurgir surement d’ici quelques minutes, selon comment tournerait le vent. Nous serait-il favorable ou non ? J’espérais que oui. Mais tout le monde pouvait se tromper.
En tout cas, je trouvais que la jeune fille était très jolie. Elle avait de jolis cheveux ondulés. Pas comme les miens, qui étaient raides et comportaient des mèches rebelles à ne plus savoir quoi en faire. Enfin en générale, je n’avais pas trop à me plaindre car il y avait pire que moi en matière de cheveux.

« Bonjour. »

Simple. Efficace. La fille était directe, et cela me plaisait. Je n'aimait pas ceux qui s'éternisaient. En fait, je n'aimais pas beaucoup de comportement -même le mien m'agaçait-, et il était très difficile que quelqu'un me plaisent au point de devenir mon ami. Je n'avais pas vraiment le sourire facile, pourtant, quand cette fille me sourit, je ne pus m'empêcher de lui rendre la pareille, tout en notant qu'elle avait des dents très blanches et bien alignées.

« - Salut. »

Ma réponse était tout aussi brève, mais, même si je n'avais pas répondu sèchement, je me rendis compte que ce genre de réponse n'était pas très approprié. La fille me prendrait pour une folle, ou alors pour quelqu'un de très timide, à moins qu'elle ne me pense pas bavarde, ce qui ne me rendait pas très amicale. Je décidais donc de dire quelque chose. Mais quoi ? Je n'étais pas très douée en matière de conversation, et ça se sentait. Trait de caractère qui m'agaçait prodigieusement chez moi, d'ailleurs. Je savais provoquer, répondre avec insolence ou mépris, mais dès qu'il s'agissait d'une conversation normale ou amicale, j'étais à court de mot. A croire que j'étais réellement une peste. Ou que je savais bien me défendre, au choix...
Bon. Réfléchissons, et calmement. Déjà, éviter de l'appeler "La fille", "L'inconnue", ou tout autre nom complètement stupide, il faudrait que je connaisse son prénom. Et, par la même occasion, donner le mien. Mais dans quel sens tourner ma phrase ? ...
Sérieusement, la prochaine fois, avant d'interpeller quelqu'un, je m'entraînerai devant la glace. Vous savez, la glace, dans la salle de bain des élèves du feu. Au dessus du lavabo. Voilà, cette glace-là. Mais si quelqu'un m'entendait, on me prendrait pour une folle. Je ne tenais pas à ternir ma réputation, alors je m'entraînerait mentalement.
Finalement, j'optais pour la solution qui, dans les histoires de gens à peu près normaux humainement, est la plus classiques. Laisser les mots jaillir de sa bouche sans chercher à les maîtriser. D'habitude, j'évitais cette méthode, parce que les conséquences de paroles irréfléchies ne peuvent qu'être mauvaises. Mais qu'est-ce qui pouvait m'arriver si je disais comment je m'appelais d'une drôle de manière, à part paraître ridicule ? On m'a dit que le ridicule ne tue pas. Autant essayer.

« - Je m'appelle Ornella. Et toi ? »

Wahou, super original ! Vraiment, il faudrait faire mieux la prochaine fois.

La jeune fille répondit à mon salut. C’était un mot simple mais au moins, elle m’avait répondu. C’est vrai quoi, elle aurait pu m’envoyer bouler en déclarant de lui fiche la paix car elle voulait regarder le lac en paix. Mais non, elle m’avait salué tout comme je l’avais fait quelques secondes plus tôt.
Un silence s’installa entre nous. Je regardais le lac, résistant à l’envie de la regarder, en espérant qu’elle trouverait un truc à dire ; n’importe quoi. Tout ce que je voulais c’était qu’elle dise quelque chose qui engage la conversation. Même un truc débile !
D’un coup, une petite illumination éclaira mon cerveau. Illumination débile ! S’il fallait, elle attendait, elle aussi, que je prenne la parole… Pourquoi est-ce que je n’y avais pas pensé plus tôt ?!
Bon, alors… Que dire ? Un truc bien, pas un truc stupide. En fait, je ne connaissais rien de la jeune fille qui était assise à côté de moi. Pas même son nom, sa maison… Quoi que quelque chose me disait qu’elle ni partie des élèves de l’air, ni de la terre. Ca se voyait un peu dans ses yeux. Cependant, j’hésitais entre l’eau et le feu. Peut-être devrais-je lui poser la question ? Ouais mais… Il y avait mieux comme sujet de conversation. Après, ça allait donner l’impression que j’étais une fille pleine de préjugés au sujet des maisons, alors que pas du tout.
Je pouvais toujours… Euh…

J’étais toujours plongée dans mes divergences quand la voix de la jeune fille se fit de nouveau entendre. Elle se présenta comme étant Ornella. Puis me retourna la question.
Qu’est-ce que je pouvais être bête parfois ! Si j’avais un semblant de vraie jugeote, moi aussi j’aurais commencé par savoir comment se nommait la personne face à moi (enfin, là c’était plutôt à côté de moi). C’était simple, et pourtant pas stupide. Tout le monde faisait ça c’était inévitable.

« Enchantée. Moi, c’est Anhya. »

Et on continuait à faire dans le simple. En même temps, je ne voyais pas trop quoi lui répondre d’autre. A part peut être Anhya Mélanie Jones ; mais bien souvent c’était le « Anhya » qui comptait. Bien que le plus souvent on m’appelait Nya Nya ; surnom qu’Alex m’avait donné et depuis, il était resté dans les mémoires. Enfin bref…

Maintenant, c’était à moi de parler. Ornella avait pris sur elle pour lancer le truc et je lui avais répondu. C’était clair, qu’elle n’aurait pas d’autre questions à me poser (à moins qu’elle ne fasse une interview ; ce dont je doutais fort !).
Je réfléchissais à ce que je pouvais lui demander. J’avais mis de côté la question sur son appartenance de maison. Je le saurais tôt ou tard alors…
Je reportais mon attention sur la jeune fille et lui souris. Ma spécialité refaisait surface !

« Tu viens souvent ici ? »

Wahou ! Mais quel progrès ! Anhya, tu m’épates !
Enfin, il fallait bien commencer par quelque chose.

Elle se présenta sous le nom d'Anhya. Joli prénom ! Mais comme je n'étais pas habituée à complimenter les gens, et que ça n'allait pas commencer aujourd'hui -j'avais déjà l'air assez idiote avec mes tournures de phrases. De plus, la dernière fois que j'avais fait cette remarque, la personne c'était obligée de me répondre que le mien était aussi joli. Fatale erreur, je déteste mon prénom. Anhya me demanda si je venais souvent ici.

Oui, je venais souvent ici. Je venais presque tous les jours, même si, parfois, je me contentais d'un simple contact avec le lac pour repartir aussitôt. Je ressentais une sorte... D'harmonie, de symbiose avec l'eau. Je devais aller au lac, c'était comme une obligation de mon organisme, une envie irrépressible, un besoin vital. Ainsi, je pouvais passer ici quelques secondes. Le jour de mon arrivée, j'avais dormi à côté du lac. Étrange, n'est-ce pas ? Mais j'avais besoin d'un semblant d'affection, et comme je ne connaissais personne, j'avais dû me contenter d'une présence familière ; la seule, ici, était l'eau. Vraiment, l'eau était plus vital pour moi que pour quelqu'un d'assoiffé. Mon regard se perdit un instant dans l'horizon. Je réfléchissais peu à ma "relation" avec l'élément.

C'était comme une partie de moi-même, et je n'avais pas vraiment besoin de réfléchir pour arriver à la contrôler. C'était presque inné. Bien sûr, je ne contrôlais pas tout, et je faisais parfois de bêtises. Mais le problème, souvent, venait de la quantité d'eau à contrôler. En voulant arroser une plante, j'étais capable de lui donner deux gouttes ou alors le lac entier sans faire exprès. Et si c'était le lac entier, je ne vous dit pas la fatigue après l'effort que ça me procure... Mais après coup seulement. Ce quoi peut être assez dangereux, d'ailleurs, quand je suis près d'une énorme quantité d'eau. Un point de bien de plus que m'apportait cette école. Pour moi, ce n'était pas uen deuxième maison, mais une maison tout court. Je ne sais pas ce que je deviendrais en sortant d'ici... Je repris mes esprits. Anhya attendait une réponse.

« Je viens tous les jours. Et toi ? »

Tous les jours. Personne ne comprenait vraiment que je sois aussi attirée par l'eau, et tous avaient autre chose à faire que venir voir un lac... Mais pas moi. Je suis peut-être folle, mais tant pis. J'ai dû être un poisson dans une vie antérieure, vous ne croyez pas ?
Je me demandais si elle venait souvent. Peut-être que oui, mais je ne l'avais pas beaucoup croisée, dans ce cas-là ; mais c'était possible, puisque je venais soit très tôt dans la matinée soit très tard le soir. Aujourd'hui, c'était un peu une exception... Il faut dire qu'avec cette chaleur... !

Ornella m’annonça qu’elle venait ici tous les jours. Je ne pus m’empêcher de sourire. Je pouvais constater avec joie que je n’étais pas la seule imbécile à venir au lac juste pour le plaisir d’être au lac. C’était rassurant, enfin, si on pouvait dire ça comme ça. Enfin, je ne venais pas tous les jours non plus car il y avait d’autres endroits que j’adorais fréquenté. Un peu comme la volière. J’adorais aller là-bas, non pas pour envoyer du courrier comme la plupart des élèves, mais plutôt pour regarder les hiboux et les chouettes. Je les trouvais fascinante. Mais ça, personne ne le comprenait ; mis à part peut-être Anna.

« A chaque fois que je peux. » répondis-je avec un grand sourire.

C’était étrange car je ne l’avais encore jamais croisé. Enfin, je l’avais déjà aperçu un peu partout dans l’école (ce qui était logique d’ailleurs), mais jamais précisément ici. Il fallait dire aussi que ça faisait un moment que je n’étais pas venue au lac. La dernière fois devait remonter à un mois. C’était honteux ! Moi qui adorais cet endroit… Enfin, je n’avais pas non plus que ça à faire. Je n’avais pas un emploi du temps de star non plus ! C’était juste qu’il y avait beaucoup d’endroit que j’adorais dans l’école et les faire tous prenait un certain temps.
J’aimais bien aussi la Bibliothèque ; le paradis des livres. J’avais pratiquement lu tous les romans qu’elle comportait. Ma liste de livres empruntés était longue. La bibliothécaire n’en revenait pas à chaque fois qu’elle inscrivait un nouveau livre. Mais je n’y pouvais rien. J’adorais le contact des feuilles sur mes doigts.
Oui, j’étais bizarre, et fière de l’être !
Je reportais mon attention sur Ornella qui fixait le lac avec émerveillement. Je ne pus m’empêcher de me demander si mes yeux brillaient aussi de cette façon quand je regardais le lac. Peut-être que oui, peut-être que non. Enfin, je n’allais pas le lui demander ; ça faisait un peu tâche sur les bords. Je voyais ça d’ici : « Est-ce que mes yeux brillent quand je regarde le lac ? » Là, elle allait me prendre pour une timbrée échappée de l’asile de fous !

« Il y a d’autres endroits que tu aimes ? » lui demandais-je.

Qui sait ? Peut-être qu’au fond, Ornella et moi n’étions pas si différentes.

« A chaque fois que je peux. »

Peu de gens partageait mon attirance pour l'eau en général. Les lacs, les rivières, les baignoires, mêmes, j'adorais n'importe quel endroit où l'on puisse trouver de l'eau. Le lac était une étendue encore plus vaste que baignoires et ruisseaux, et c'est pourquoi je venais encore plus souvent ici.

« Il y a d’autres endroits que tu aimes ? »

Sa question reflétait exactement mes pensées. J'aimais tous les vieux endroits, où j'imaginais des élèves d'autrefois en train de se raconter des secrets, de se disputer, ou même de pleurer. J'allais souvent dans la plus grande des salles de bains, où je m'enfermais à double tour. Ou alors sur la Salle su Demande. Là, je pouvais pleurer, chanter, rire, et surtout goûter à la solitude. J'en avais besoin. Je ne m'étais jamais remise du coup de poignard que j'avais reçu dans le dos... Au sens figuré, bien évidemment. Il faut dire que j'étais très rancunière, et que je ne pardonnais que très difficilement. Et les trahisons de cette ampleur... Imaginez, on vous dit qu'on vous aime plus que tout au monde, on vous le prouve chaque jour. Et un beau jour, hop, quelqu'un trahit un de vos secrets et le monde entier vous déteste. C'est assez horrible à vivre, comme expérience. Et la baignoire gigantesque me rappelait le bon vieux temps. Le temps où j'étais assez naïve pour croire qu'on m'aimait réellement. Que j'étais une fille normale et appréciée. Capricieuse mais tellement adorable qu'on ne m'en voulait presque pas. Mais c'était assez personnel, cette histoire de salle de bain. Vous trouverez peut-être ça idiot, mais je ne voulais pas en parler à Anhya. Je ne la connaissais pas assez pour lui révéler ce genre de choses. Et j'étais méfiante, constamment sur la défensive. J'avais trop peur qu'on me trahisse à nouveau. Vous savez, il suffit qu'une seule personne vous fasse du mal pour que tout le monde vous paraisse criminel. Imaginez quand une dizaine de personne vous fait du mal, et en même temps...

« Non, pas vraiment. »

Je savais bien mentir. Mais si on était assez observateur, on pouvait voir dans mon regard que mes yeux criaient au mensonge. C'est pourquoi je me mis à fixer avec obstination le lac.

« Et toi ? »

Je voulais qu'elle prenne la parole pour me remettre à respirer librement. En fait, j'étais habituée à mentir aux gens sur mon compte. Mais pas pour si peu... J'avais honte d'être devenue une menteuse.

Ornella ne mit pas longtemps à me répondre qu’elle n’avait pas vraiment d’autre lieu de prédilection que le lac. Je pouvais le comprendre. C’était un endroit tellement merveilleux qu’il était difficile d’en trouver d’autre. Mais moi, j’y étais arrivée. Seulement voila, tout le monde n’était pas comme moi. Et heureusement d’ailleurs car ma maladresse n’était pas une de mes qualités les plus enviés. Tout le monde me disait que c’était mignon chez moi, mais personne n’en voulait.
Imaginez un peu un monde où chaque personne vivante serait maladroite. Comment ferait-on des vases ou des trucs qui cassent ? Ce serait tout simplement impossible !

Je regardais Ornella, puis cette dernière tourna la tête aussitôt. Elle se concentrait sur le lac. Elle avait raison, il était mille fois plus intéressant à regarder que moi. Cependant, et parce que j’étais très douée pour ça, j’avais cru déceler quelque chose dans le regard de la jeune blonde. Mais c’était surement mon imagination. Je ne l’avais pas regardé assez longtemps pour conclure quoi que ce soit qui puisse être flagrant. Enfin bon… Je n’étais surement pas le genre de personne vers qui Ornella irait se confier dans l’immédiat. Pour ma part, je ne parlais pas de mes petits soucis personnels à n’importe qui. J’en parlais le plus souvent à Anna et me contentais parfois de bref résumer à ma meilleure amie, Gaby, ou encore ma sœur de cœur et de folie, Peyton.
La jeune fille me retourna alors la question. Moi ? Alors moi c’était une bien autre histoire.

« Oui. Enfin, si on peut appeler ça comme ça. J’aime beaucoup le belvédère. Il n’y a pratiquement jamais personne là bas et les étoiles sont magnifiques à regarder. Enfin, il faut en connaître un peu en astronomie pour ça. Perso’, j’y connais rien, mais j’aime bien essayer de trouver des constellations. »

Je pris une petite pause. Et bien oui, je n’allais pas tout déblatérer d’un coup. Imaginez un peu le pauvre cerveau d’Ornella après. Je ne préférais même pas l’imaginer voyez-vous ?

« Après, il y a la volière. Ouais bon… Je sais, il y a mieux comme endroit, mais j’aime bien les chouettes et les hiboux. Et je crois qu’eux aussi m’aime bien. »

Je donnais un peu l’air d’être un Mowgli féminin qui s’entendait à merveille avec l’ensemble des animaux. Or je n’y pouvais rien si j’avais un certain contact avec l’espèce animal.