Ornella Preet {Terminée}

◙ Le jet d’eau gicla bruyamment. Ornella se déshabilla en tentant de garder les yeux ouverts, épuisée. Quand le bassin gigantesque qui servait de baignoire fut rempli, elle ferma le robinet et se glissa dans l’eau chaude en soupirant d’aise. L’eau était presque brûlante, mais elle s’éveilla complètement à son contact, et, si ses bains étaient silencieux, elle était toujours émerveillée à l’écoute apaisante du mouvement de l’eau, et par les arabesques douces formées à sa surface. Après être lavée, elle resta encore plusieurs minutes dans l’eau, mais, celle-ci refroidissant, elle finit par en sortir. Un peignoir blanc ajusté sur le corps, elle appuya sur ce petit bouton, qui déclencha « la fin de l’eau », comme elle l’appelait. L’eau allait tourbillonner jusqu’à ce petit trou ridicule. Et partirait vers les égouts.
Triste fin pour cet élément si beau, qui finissait si sale. Elle s’allongea à côté de la baignoire et trempa un doigt dans l’eau encore tiède qui coulait lentement, pour faire des dessins imaginaires qui disparaissait après le passage de son doigt qui effleurait la surface avec douceur. Le niveau descendait doucement, elle devait encore avoir une dizaine de minutes pour ce petit jeu…

Elle frappa ensuite l’eau de son petit poing, ce qui provoqua des éclaboussures, et la fit sourire. Quand elle enleva sa main à présent ouverte, qu’elle ne fut pas sa surprise de voir l’eau suivre –car il n’y avait pas d’autre mot – sa main ! Elle fronça les sourcils et secoua sa main vers sa gauche, et une grande quantité d’eau suivit son geste pour aller s’écraser contre le mur à sa gauche. Ornella se leva d’un bond, horrifiée. Le fracas de l’eau fit réagir sa mère, qui lui demanda depuis la porte si tout allait bien et demanda ce qu’il se passait. Après l’avoir
rassurée, Ornella courut dans sa chambre. En regardant la pluie tomber depuis sa fenêtre, elle se promit que ce serait son secret, et que personne n’aurait droit de savoir. Elle avait seulement sept ans et demi.


Ornella vivait dans une famille anglaise très riche qui la gâtait et la choyait, et ses parents n’étaient pas les seuls adultes qui la protégeaient comme la prunelle de leurs yeux. En plus du majordome, de la gouvernante, de la tutrice et du cuisinier qui l’adorait, Ornella apportait toujours un sourire heureux aux plus âgés, par sa bouille souriante et ses yeux attendrissants. Malgré la sévérité adoucie de ses parents, elle demeurait une petite fille gaie et joyeuse, courant partout, riant dès qu’elle en avait la possibilité, et, surtout, qui adorait les histoires. Elle-même s’imaginait Reine d’un monde imaginaire où elle contrôlerait les gens, leurs humeurs et leur douceur, ainsi que les éléments et les évènements, pour que tout soit comme elle l’imaginait, tout soit en paix et beau. Seulement e monde était bien plus cruel, et elle s’en rendit rapidement compte…


Ornella avait neuf ans quand Giselle fut renvoyée. Giselle, sa précepteur(trice ?) qu’elle aimait tant. Renvoyée pour une raison qu’elle ne connaissait pas… Et sans adieux, juste l’appartement qui lui était réservé vide, ce matin d’octobre. Déboussolée et attristée, elle n’écouta pas son nouveau précepteur, beaucoup plus sec et désagréable. Dès lors, elle devint une enfant capricieuse et détestable, qui en voulait à tout le monde et qui voulait revoir Giselle. Séparée d’une partie de son enfance, elle en était plus que déboussolée, et c’est sûrement ce qui la poussa à révéler son secret à sa gouvernante.

Malgré le fait qu’elle ait fait promettre à la gouvernante de ne rien dire à personne, celle-ci en fut tellement choquée que, bientôt, ses parents furent mis au courant. Trahie et chamboulée par le nombre de questions qu’on lui posait, elle se forgea une carapace de glace et devint plus insupportable encore.

Par un heureux hasard, elle comprit qu’en plus de manipuler les gens oralement, elle comprit qu’elle leur donnait réellement l’illusion que ce qu’ils voulaient était réel. Elle devint menteuse, manipulatrice, secrète, et glaciale. On ne reconnu jamais l’enfant adorée que tous avaient aimé. Les enfants eux-mêmes l’évitaient, comme mû par un instinct préservateur. Mais, malgré les illusions, sa bouille et ses yeux ne devinrent plus les sujets qui l’aidaient à convaincre les gens. Sa beauté mystérieuse et dangereuse y est sûrement pour quelque chose…

Toujours est-il que ses parents, horrifié par leur monstre –car quelque chose qui n’est pas contrôlable est monstrueux, n’est-ce pas ?-, l’ignorèrent et la détestèrent, comme si elle n’avait jamais fait parti de la famille. Il la privèrent de ses biens, de l’amour qu’elle avait reçu, de son héritage prometteur, de leur cocon rassurant. Elle n’avait nul endroit où aller quand elle découvrit l’Île de la Destinée.